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lui-même terrifié. Il se voyait précipité dans une telle mer de sang qu’il n’en surnagerait jamais. Nous avons dit ses liaisons secrètes avec les indulgents, son dîner chez Lecointre avec Merlin (de Thionville) ; on a vu que, suspecté, il lui fallait subir un adjoint, c’est-à-dire un surveillant dans l’affaire de son parent Camille Desmoulins.

Quand il reçut sur la tête ce pavé de prairial… éperdu, il se confia au Comité de sûreté, dit à ses patrons qu’il ne savait comment faire. Ils convinrent que la loi était inexécutable et lui enjoignirent de l’exécuter. Quand il revint (à minuit), toute la Seine lui semblait du sang.

Les exécutions devaient se faire désormais au faubourg Saint-Antoine. Les charrettes n’avaient plus à traverser les passages étroits du Pont-Neuf, des rues du Roule et Saint-Honoré. L’échafaud ne serait plus serré de la foule. C’était l’émancipation de la guillotine. Elle allait respirer d’un grand souffle exterminateur, hors du monde civilisé, n’ayant plus à rougir de rien.

Mais le tribunal était plus choquant que la guillotine. Ceux qui y virent fonctionner cette machine de prairial furent saisis [d’horreur. Des juges de 1793, qui vinrent comme observateurs, n’en purent supporter la vue. On avait exclu des jurés tout ce qui avait encore quelque indépendance, Antonelle, Naulin, par exemple, et même on les fît arrêter[1].

  1. Chef des jurés révolutionnaires en 1793, Antonelle n’avait accepté cette ingrate et pénible fonction qu’à la condition d’entourer les jugements de la