Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 7.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bres, il paraît très bien sentir qu’après de telles choses, directe est la voie du tombeau.

Mais s’il avait fait cette chose énorme, fait passer la République sur le corps de son père, c’est que ce passé si cher, si sacré aux patriotes, lui apparaissait comme obstacle sur la route de l’avenir où il avait hâte d’engager la Révolution.

Donc, bien plus que Robespierre, il avait besoin d’aller en avant. Son acte le lui commandait. S’il ne faisait les grandes choses dont Danton lui semblait l’obstacle, Saint-Just restait un assassin.

Il avait toujours volontiers consulté, dès son premier âge, les oracles de la mort. Nous avons dit les étrangetés de sa jeunesse, comment, au milieu d’une ville très corrompue de province, d’une école de droit dissolue, au milieu des séductions intérieures d’une imagination lubrique, il s’était fait un refuge, une chambre tendue de noir et de blanches têtes de morts, qu’il habitait seul à certaines heures avec les grands morts de l’Antiquité. Là, sans doute, lui apparut ce mot qui a fait sa vie : « Le monde est vide depuis les Romains. »

Un passage saisissant de son discours du 16 avril, qui ne semble qu’un trait d’audace, une moralité cynique après un tel événement ( « Ambitieux, allez vous promener une heure au cimetière où dorment », etc.), ce passage nous porte à croire, nous qui connaissons bien l’homme, que lui-même effectivement il alla consulter les morts ; que, fort de sa sincérité, il demanda conseil à ceux qu’il avait tués,