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excellait Madame). Jamais il n’y eut personne pour mieux arranger sa vie. Tous deux aimés, influents et considérés jusqu’au dernier jour. Suard est mort censeur royal.

Ils se tenaient tapis là, sous la terre, attendant que passât l’orage, se faisant tout petits. Quand ce proscrit fatigué, à mine hâve, à barbe sale, dans son triste déguisement, leur tomba à l’improviste, le joli petit ménage en fut cruellement dérangé. Que se passa-t-il ? On l’ignore. Ce qui est sûr, c’est que Condorcet ressortit immédiatement par une porte du jardin. Il devait revenir, dit-on ; la porte devait rester ouverte ; il la retrouva fermée. L’égoïsme connu des Suard ne me paraît pas suffisant pour autoriser cette tradition. Ils affirment et je les crois, que Condorcet, qui quittait Paris pour ne compromettre personne, ne voulut point les compromettre ; il aura demandé, reçu des aliments : voilà tout.

Il passa la nuit dans les bois, et le jour encore. Mais la marche l’épuisait. Un homme, assis depuis un an, tout à coup marchant sans repos, fut bientôt mort de fatigue. Force donc lui fut, avec sa barbe longue, ses yeux égarés, d’entrer, pauvre famélique, dans un cabaret de Clamart. Il mangea avidement, et, en même temps, pour soutenir son cœur, il ouvrit le poète romain. Cet air, ce livre, ces mains blanches, tout le dénonçait. Des paysans qui buvaient là (c’était le comité révolutionnaire de Clamart) virent bientôt tout de suite que c’était