préférée, celle de 1793, n’est qu’un piège, un moyen habile d’organiser la dictature, Condorcet ne l’avait pas dit ; mais il l’avait démontré dans une brochure violente. On a vu comment Chabot, effrayé de sa propre audace, crut se concilier Robespierre en faisant proscrire Condorcet.
Celui-ci, qui avait fait cette chose hardie le lendemain du 31 mai, savait bien qu’il jouait sa vie. Il s’était fait donner un poison sûr par Cabanis. Fort de cette arme et pouvant toujours disposer de lui, il voulait, de son asile, continuer la polémique, le duel de la logique contre le couteau, terrifier la Terreur des traits vainqueurs de la Raison. Telle était sa foi profonde dans ce Dieu du dix-huitième siècle, dans son infaillible victoire par le bon sens du genre humain.
Une douce puissance l’arrêta, invincible et souveraine, la voix de cette femme aimée, souffrante fleur laissée là en otage aux violences du monde, tellement exposée par lui, qui pour lui vivait, mourait. M me de Condorcet lui demanda le sacrifice le plus fort, celui de sa passion, de son combat engagé, c’est-à-dire celui de son cœur. Elle lui dit de laisser là ses ennemis d’un jour, tout ce monde de furieux qui allait passer, et de s’établir hors du temps, de prendre déjà possession de son immortalité, de réaliser l’idée qu’il avait nourrie d’écrire un Tableau des progrès de l’esprit humain.
Grand fut l’effort. Il y paraît à l’absence apparente de passion, à la froideur austère et triste