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Que la République, qui était eux-mêmes, en vînt à ce renversement monstrueux de les tuer, ils ne le comprirent jamais. Danton averti avait dit : « On ne me touche pas… Je suis l’Arche. » Camille le croyait encore plus. Et pour rassurer Lucile, il lui disait (au 10 août et ailleurs) : « Qu’as-tu à craindre ?… Je serai avec Danton. »

Sur la charrette, il disait : « Quoiqu’il arrive à Danton, je partagerai son sort. »

À peine admettait-il encore que Danton pût mourir. Des amis désespérés étaient dans la foule, épiaient un réveil de l’âme du peuple. Brune rôdait comme un lion. « Je périrai, avait-il dit, ou je les délivrerai. » Et Fréron, le frère chéri de Camille, l’admirateur enthousiaste de sa charmante Lucile, avait-il brisé l’épée de Toulon ? Quelle plus belle occasion de mourir pour l’amour et l’amitié ? »

Mais c’était sur le peuple même que comptait le plus Desmoulins. L’auteur du Vieux Cordelier se sentait aimé, béni. Il avait la conscience d’avoir été la voix du peuple, et sa foi en lui était tout entière. Il donna, sur la charrette, le plus extraordinaire spectacle, s’agitant, s’obstinant à croire que jamais la France ne pouvait l’abandonner. « Peuple ! pauvre peuple !… criait-il, on te trompe !… on tue tes amis !… Qui t’a appelé à la Bastille ?… Qui te donna la cocarde ? Je suis Camille Desmoulins !… » Quoique lié, il s’agitait d’une manière si violente que ses vêtements éclatèrent et laissèrent voir sa poitrine, ce pauvre corps si vivant que la terre allait