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La colonne était énorme ; le seul nom du royalisme relevant la tête avait mis dans ce brave peuple l’unanimité terrible de la prise de la Bastille. Ils descendirent tous, et la masse grossissant encore sur la route, arrivés au Palais-Royal, ils étaient dit-on, vingt mille.

Ceux de la Butte-des-Moulins, effrayés, mais résolus à vendre leur vie, s’étaient mis en bataille dans le jardin du Palais-Royal. Portes, grilles, tout était fermé : mesure de défense, mais fort dangereuse. Toute communication étant interdite, on allait se massacrer sans savoir seulement si l’on était ennemis. Les canons, des deux côtés, étaient chargés, prêts à tirer. Il y eut heureusement quelques hommes de bon sens dans ceux du faubourg, qui dirent qu’avant tout il fallait pourtant aller voir s’ils avaient vraiment la cocarde blanche.

Ils demandèrent à entrer, franchirent les grilles, ne virent que le bonnet de la liberté et les trois couleurs. Tous criaient le même cri, celui de la République ; les grilles et les portes s’ouvrent, la place est prise d’un élan, l’élan de la fraternité. On s’explique, on s’excuse, on s’embrasse. La violence des émotions contraires, le passage si rapide de la fureur à l’amitié, furent tels que plusieurs n’eurent pas assez de force pour y tenir ; ils y succombèrent. Un commandant s’évanouit, il est frappé d’un coup de sang ; la stupeur succède à la joie, on court chercher un chirurgien, on le saigne, il est sauvé… Joie nouvelle, et des cris immenses de : « Vive la République ! »