Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentants en mission. Ils changèrent partout les églises en temples de la Raison. Partout ils organisèrent la prédication religieuse et politique du décadi. Seulement, la majorité des masses républicaines entendant par le mot Raison la Raison divine, ou Dieu, la figure féminine que l’on promena s’appela la Liberté. L’attachement des patriotes à cette forme de culte parut en ceci, que les robespierristes mômes, qui l’écrasèrent à Paris, furent obligés de la ménager infiniment dans les départements, et, même après que Robespierre eut fait périr Clootz et Chaumette, les sociétés populaires des frontières, nos armées victorieuses, ouvraient encore, même hors de France, des temples de la Raison.

L’obstacle vint non de la France, mais de Paris même, du désaccord de la Commune, de la désertion d’Hébert qui abandonna Chaumette, de la violente opposition du Comité de salut public et de Robespierre[1], singulièrement jaloux de l’allure indépendante qu’avait prise la Convention en cette affaire, irrités surtout de la grande décision prise

  1. Une machine très habile fut employée par les robespierristes pour guérir le mal homéopathiquement, pour neutraliser par un autre culte celui de la Raison. Robespierre, très peu sympathique à Marat (voir le remarquable ouvrage de M. Hilbey), avait empêché qu’on ne le mît au Panthéon. On fut bien étonné (le 14 novembre) de voir l’homme de Robespierre, David, demander que Marat y fût porté en pompe solennelle. La Raison ne pouvait manquer d’être compromise par la concurrence ou l’adjonction de ce nouveau dieu. La dévotion des Cordeliers avait exposé son cœur à l’adoration perpétuelle avec une autre relique, le cœur du bossu Verrières. Les idiots mêlaient Marat avec le Sacré-Cœur, marmottant : « Cœur de Marat, cœur de