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ralement des demoiselles de familles estimées, qui, de gré ou de force, durent représenter la Raison. J’en ai connu une dans sa vieillesse, qui n’avait jamais été belle, sinon de taille et de stature ; c’était une femme sérieuse et d’une vie irréprochable. La Raison fut représentée à Saint-Sulpice par la femme d’un des premiers magistrats de Paris, à Notre-Dame par une artiste illustre, aimée et estimée, Mlle Maillard. On sait combien ces premiers sujets sont obligés (par leur art même) à une vie laborieuse et sérieuse.

La Raison, vêtue de blanc avec un manteau d’azur, sort du temple de la Philosophie, vient s’asseoir sur un siège de simple verdure. Les jeunes filles lui chantent son hymne ; elle traverse au pied de la Montagne en jetant sur l’assistance un doux regard, un doux sourire. Elle rentre, et l’on chante encore… On attendait… C’était tout.

Chaste cérémonie, triste, sèche, ennuyeuse[1].

La Convention, le matin, avait promis d’assister à la fête, sur la demande expresse des indulgents, réconciliés avec Chaumette, mais une violente discussion la tint tout le jour. Saisissant une occa-

  1. Est-il nécessaire de dire que ce culte n’était nullement le vrai culte de la Révolution ? Elle était déjà vieille et lasse, trop vieille pour enfanter. Ce froid essai de 1793 ne sort pas de son sein brûlant, mais des écoles raisonneuses du temps de l’Encyclopédie. — Non, cette face négative, abstraite de Dieu, quelque noble et haute qu’elle soit, n’était pas celle que demandaient les cœurs ni la nécessité du temps. Pour soutenir l’effort des héros et des martyrs, il fallait un autre Dieu que celui de la géométrie. Le puissant Dieu de la nature, le Dieu Père et Créateur (méconnu du Moyen-Âge. Voir Monuments de Didron), lui-même n’eût pas suffi ; ce n’était pas assez de la révéla-