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de Paris se souvient de toi… Elle vient te visiter par l’écrit qu’elle t’envoie… Pauvre homme dédaigné du monde, celle qui est la lumière du monde, la grande ville qui est ta ville, veut rester en communication avec toi, te faire part de sa pensée[1]. »

Qui trouve de pareilles choses ? Celui qui aime le peuple, celui qui respecte en lui et ses maux et ses énergies dont on profite si peu, celui qui sent le besoin d’adoucir son présent, d’ouvrir son avenir, celui qui sent Dieu en l’homme !

Clootz disait pieusement, dévotement : « Notre-Seigneur Genre humain ! »

  1. Voilà pour l’infirme, le vieillard, l’homme profondément seul dans la foule des inconnus, perdu à la fin de sa vie dans ces vastes déserts d’hommes qu’on appelle hospices. Combien il est noble, généreux et tendre, de penser toujours à celui à qui le monde ne pense plus !

    Pour le malade, d’autre part, pour le travailleur dans l’âge de force qui passagèrement habite l’hospice, combien une telle communication peut être utile et féconde ! C’est le moment et l’unique où il se trouve de loisir. Plus jeune, il a eu et perdu les deux occasions de culture que tous perdent (l’école et l’armée). Demain le travail incessant, implacable, inexorable, le ressaisira tout entier. Que servent vos écoles du soir à ce pauvre forgeron qui, douze ou quinze heures de suite, a battu le fer ? Il dort debout ; comment le tiendrez-vous éveillé ? Non, le seul moment, c’est l’hospice, ce sont les jours de maladie, les jours de la convalescence. Là, ou jamais, le travail leur est propre à la réflexion. Ces hommes de force et de labeur ont besoin d’un peu de faiblesse pour être tout à fait éveillés. La plénitude sanguine, dans leur état ordinaire, est pour eux comme une sorte d’ivresse ou de rêve. Attendris, mortifiés par la maladie, ils sont plus civilisables. Qu’il leur vienne un aliment, qu’une lecture patriotique, ou spéciale à leur art, vienne remplir leur loisir, leur âme prendra l’essor. Ils se mettront à songer, ils pourront s’orienter dans cette halte, s’arranger une vie meilleure, plus intelligente, plus sagement ordonnée. La maladie, tournée ainsi au profit des hommes par une autorité paternelle, deviendra comme une utile fonction de la nature, qui n’a suspendu leur travail que pour les initier à la civilisation Que la Patrie les reçoive, améliorés ainsi, au sortir de l’hospice, qu’elle leur ouvre ses écoles, ses fêtes, ses musées, aux jours de repos, qu’elle leur continue l’éducation commencée au lit de l’hospice par la prévoyante Commune qui vint les y consoler.