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Entre l’ange noir et l’ange blanc, le bon et le mauvais esprit, entre Hébert et Clootz, s’agitait Chaumette.

Le parleur ingénieux et adroit, l’homme matériel et lâche, qui, même à côté d’Hébert, n’eut jamais la force d’être un scélérat et garda un cœur.

Il fut tué par son bon génie, par l’influence de Clootz. Il osa, un jour, être humain. Et il alla à la mort[1].

Le mariage de ces deux hommes, si profondément différents d’esprit :

Du pauvre spéculatif Allemand, bayant aux nuées ;

    croyant voir mourir la République et ne pouvant lui survivre. Il voulait la mort, il l’eut (guillotiné 8 novembre). L’autre, Forster, le fils de l’illustre navigateur, échappé à tous les dangers des plus périlleux voyages, venu à Paris comme au port, mourut de misère, de douleur, d’isolement, comme si, dans le naufrage, la mer l’eût jeté sur un écueil désert. Des patriotes de Mayence qui avaient soutenu ce long siège, l’un, Riffle, combattant vaillamment pour la France en pleine Vendée, fut la première victime de la trahison de Ronsin. À Torfou, près de Kléber, la première balle vendéenne fut pour lui ! Il mourut là, loin des siens, sans autre parent que Kléber, qui lui-même, renversé, blessé à cette cruelle affaire, fut blessé au cœur, sentit une larme amère dans sa forte âme de soldat.

    Durs aveux pour l’historien !… Mais savez-vous, pendant ce temps, ce que disait l’Allemagne ?

    O violent amour de la France ! sanglant miracle, impossible à comprendre pour ceux qui n’ont pas en leur foi la clé des mystères !… L’Allemagne idéaliste et forte, s’arrachant le cœur maternel, la pitié de ses enfants, disait stoïquement, du haut de la chaire de Fichte : « Non, ce sang n’est pas du sang, non, la mort n’est pas la mort ! Quoi que puissent faire la France et la Révolution, c’est bien. » De sorte que, pendant que la France se maudissait elle-même, l’Allemagne, ce grand prophète, lui envoyait d’avance les bénédictions de l’avenir.

  1. Chaumette a révélé ce mystère. Quand on lui demande aux Cordeliers « comment il a pu soupçonner que les comités révolutionnaires étaient capables parfois d’accuser et de poursuivre leurs ennemis personnels, d’abuser de leur dictature », il répond : « J’ai suivi la pensée d’Anacharsis Clootz. » (Archives de la Police.)