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aussi s’enfonçait dans son hiver, dans la mort des illusions. Entre les deux jardins sans feuilles, la nuit tombant (cinq heures et demie du soir), elle arriva au pied de la Liberté colossale assise près de l’échafaud, à la place où est l’obélisque, monta légèrement les degrés et, se tournant vers la statue, lui dit, avec une grave douceur, sans reproche : « O Liberté, que de crimes commis en ton nom ! »

Elle avait fait la gloire de son parti, de son époux, et n’avait pas peu contribué à les perdre. Elle a involontairement obscurci Roland dans l’avenir. Mais elle lui rendait justice, elle avait pour cette âme antique, enthousiaste et austère, une sorte de religion. Lorsqu’elle eut un moment l’idée de s’empoisonner, elle lui écrivit pour s’excuser près de lui de disposer de sa vie sans son aveu. Elle savait que Roland n’avait qu’une unique faiblesse, son violent amour pour elle, d’autant plus profond qu’il le conte nait.

Quand on la jugea, elle dit : « Roland se tuera. » On ne put lui cacher sa mort. Retiré près de Rouen, chez des dames, amies très sûres, il se déroba et, pour faire perdre sa trace, voulut s’éloigner. Le vieillard, par cette saison, n’aurait pas été bien loin. Il trouva une mauvaise diligence qui allait au pas ; les routes de 1793 n’étaient que fondrières. Il n’arriva que le soir aux confins de l’Eure. Dans l’anéantissement de toute police, les voleurs couraient les routes, attaquaient les fermes ; des gendarmes les poursuivaient. Cela inquiéta Roland, il ne remit pas