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avaler, c’est cette ineffable douceur ; ce miel reste à la gorge et ne peut pas passer.

Je me rappelle qu’étant jeune et cherchant du travail, je fus adressé à une Revue estimée, à un philanthrope connu, tout occupé d’éducation, du peuple, du bonheur des hommes. Je vis un homme fort petit, de mine triste, douce et fade. Nous étions à sa cheminée. Il regardait toujours le feu et jamais moi. Il parlait longuement, d’un ton didactique, monotone. J’étais mal à mon aise, écœuré ; je partis aussitôt que je pus. J’appris plus tard que c’était lui, ce petit homme, qui fît la chasse aux Girondins et les guillotina, qui eut ce succès à vingt ans. Remarquons en passant l’effroyable pouvoir que devait avoir Robespierre pour envoyer cet enfant-là, on peut dire cette petite fille, et croire que c’était assez pour faire trembler tout le Midi.

Tel fut le doux Couthon, tel fut le philanthrope Herman. Herman, d’Arras, camarade de Robespierre, qui dans ses notes secrètes le met au premier rang des hommes capables. Herman, dès qu’il est mort, jure qu’il le connut peu (saint Pierre dit de Jésus : « Quel est cet homme-là ? »). Mais, vivant, il le connaissait parfaitement. Il lui fit la mort de Danton, la mort de Fabre d’Églantine, ayant la fausse pièce qui guillotina celui-ci. Tout cela dans des formes humaines. Au moment où Danton est le plus éloquent, fait tout frémir, pleurer : « Repose-toi, Danton, lui dit Herman (lui ôtant la parole), car tu pourrais te fatiguer. »