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Convention leur donna l’accolade fraternelle. Les Jacobins les établirent dans leur propre salle pendant tout leur séjour, délibérèrent en commun avec eux.

La Convention n’avait rien ménagé pour que cette grande occasion qui amenait à Paris tout un peuple lui laissa dans l’esprit une impression ineffaçable, pour que ce peuple sentît la Patrie et rapportât à la France sa grande émotion.

Elle consacra un million deux cent mille francs à la fête.

Elle ouvrit deux musées immenses.

L’un qu’on peut appeler celui des nations, l’universel musée du Louvre, ou chaque peuple est représenté par son art, par d’immortelles peintures.

L’autre[1] qu’on pouvait appeler celui de la France, le musée des monuments français, incomparable trésor de sculptures tirées des couvents, des palais, des églises. Tout un monde de morts historiques, sorti de ses chapelles à la puissante voix de la Révo-

  1. Je rouvre ici une plaie de mon cœur. Ce musée où ma mère, dans mon âge d’enfance indigente, mais bien riche d’imagination, où ma mère tant de fois me mena par la main, il a péri en 1815. Un gouvernement né de l’étranger se hâta de détruire ce sanctuaire de l’art national. Que d’âmes y avaient pris l’étincelle historique, l’intérêt des grands souvenirs, le vague désir de remonter les âges ! Je me rappelle encore l’émotion, toujours la même et toujours vive, qui me faisait battre le cœur, quand, tout petit, j’entrais sous ces voûtes sombres et contemplais ces visages pâles, quand j’allais et cherchais, ardent, curieux, craintif, de salle en salle et d’âge en âge.

    Je cherchais, quoi ? Je ne le sais ; la vie d’alors, sans doute, et le génie des temps. Je n’étais pas bien sûr qu’ils ne vécussent point, tous ces dormeurs de marbre, étendus sur leurs tombes ; et quand, des somptueux monuments du seizième siècle, éblouissants d’albâtre, je passais à la salle basse des Mérovingiens où se trouvait la croix de Dagobert, je ne savais pas trop si je ne verrais point se mettre sur leur séant Chilpéric et Frédégonde.