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même ne vivait-il pas, ne mangeait-il pas chaque soir chez un de ces jurés, Duplay, et de son pain ? Pouvait-il ignorer les grandes fournées de la journée, cette justice rapide que lui-même voulut plus rapide ? À cette table de famille, il mangeait quoi ? Le salaire d’un juré, et j’allais dire, le prix du sang.

Ce qui a fort aidé à blanchir Robespierre, c’est que son successeur, Napoléon, a accepté, placé une foule de Jacobins, gens souples et bien dressés. Ils aimaient peu à parler de ces temps. Mais, si on les pressait, ils disaient finement que tout cela n’était pas éclairci, « que c’était un procès jugé, mais non plaidé ». C’est le mot que Cambacérès dit au maître lui-même, sachant très bien qu’il ne déplaisait pas.

Sous la Restauration, les gens de lettres s’en mêlèrent, exhumèrent Robespierre littérairement. C’était le temps des réhabilitations paradoxales. La faveur que De Maistre et bien des royalistes portaient à Robespierre ne nuisait pas. Sa sœur vivait encore, et la véhémente, l’intéressante Mme Lebas (Duplay), plusieurs octogénaires de mémoire fort confuse, qui disaient tout ce qu’on voulait. Buchez, secondé d’un jésuite, fit sa grosse compilation[1], mêlant tout, brouillant tout, avec sa gaucherie naturelle, sanctifiant

  1. La lecture de Buchez m’avait pris des années (quarante volumes). Celle des douze volumes de M. Louis Blanc m’a pris bonne partie de 1868. Je respirais à peine. Un ami m’arrive chargé du livre de M. Hamel, concentré en trois tomes compacts de très fin caractère. « Je t’en avais comblé, je t’en veux accabler… » École redoutable par sa fécondité. Que de temps pour lire tout cela ! que de temps pour répondre ! Comme je suis attaqué de page en page, j’ai calculé qu’au minimum il y faut dix années. Les vivrai-je ? J’en doute