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moment où il monta à l’échafaud, il dit fermement au bourreau : « Rendez-moi ma cocarde et attachez-la-moi, car je meurs pour la liberté. »

Le bourreau, tremblant et novice, qui voyait la guillotine pour la première fois, avait mal suspendu le couteau ; il manqua son coup, le manqua trois fois. Il fallut, chose horrible, demander un couperet pour achever de détacher la tête.

La foule furieuse fut elle-même saisie d’horreur et toute changée. On dit qu’il était mort martyr, et le miracle ne manqua pas à la légende. Plusieurs assurèrent que, sous l’affreux couteau, et le cou à demi coupé, il avait redressé sa tête pantelante, et qu’invincible à la douleur, il avait dit au bourreau effrayé les mots : « Attache-moi la cocarde… » Les femmes, italiennes ou françaises, la Pia, la Padovani, recueillirent en pleurant sa colombe veuve, le dernier amour du cachot. Elles ne craignirent pas d’aller la nuit au cimetière des suppliciés. La Pado-


    le saura ? Le seul témoin de ce combat, c’est le prêtre intéressé à dire qu’il a vaincu. Que le patient résiste ou non, on ne manque pas d’assurer « qu’il a fait une très belle fin ». C’est ainsi qu’en lui ôtant toute chose et la vie même, on lui ôte encore ce qu’il estimait plus que la vie, la constance dans sa foi et la communion intérieure avec les siens. On leur donne cette amère douleur de croire qu’il ne leur a point été fidèle, qu’il les a reniés à la mort. — Il en fut ainsi pour Chalier. Lorsque Couthon entra dans Lyon le 8 octobre avec l’armée victorieuse, un M. Lafausse, vicaire général de Lyon, ne manqua pas de se présenter à lui et de se glorifier d’avoir confessé Chalier, qui avait fini très chrétiennement, baisé le crucifix, etc. Les robespierristes, infiniment favorables au clergé constitutionnel, accueillirent très bien la chose. On mit une lettre de Lafausse au Moniteur. C’est de cette lettre et de quelques mots de Chassagnon que M. Bûchez et d’autres ont tiré la fable d’un Chalier chrétien, réfutée suffisamment et par la tentative « Je suicide que Chalier déclare lui-même et par le Christ déchiré dont nous avons parlé plus haut.