Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

double rôle, comme ces rudes podestats[1] que les villes du Moyen-Âge faisaient venir de l’étranger, afin qu’ils ignorassent les parentés, les coteries, les mauvaises alliances des nobles et des riches, qu’ils frappassent impartialement à droite et à gauche. Le jour il jugeait ; et tout ce qu’il avait amassé le jour de haine et de violence contre les ennemis du peuple, il le répandait le soir dans les clubs. Haï comme juge, comme tribun, à deux titres il devait périr.

Il semble qu’on ait détruit tout ce qu’avait écrit Chalier. Le peu qui reste n’a nullement la banalité de Marat, nullement la trivialité des improvisateurs italiens. Il y a du burlesque, mais du terrible aussi, des choses qui rappellent les menaces cyniques d’Ézéchiel au peuple de Dieu, les étrangetés sauvages des mangeurs de sauterelles de l’Ancien-Testament.

L’accent y est extraordinaire. On le sent trop, ce prophète, ce bouffon n’est pas un homme. C’est une ville, un monde souffrant ; c’est la plainte furieuse de Lyon. La profonde boue des rues noires, jusque-là muette, a pris voix en lui. En lui commencent à parler les vieilles ténèbres, les humides et sales maisons, jusque-là honteuses du jour ; en lui la faim et les veilles ; en lui l’enfant abandonné ; en lui la femme souillée, tant de générations fou-

  1. Révolutions d’Italie, par Quinet. Il est enfin terminé ce terrible livre, la plus sévère autopsie qu’on ait jamais faite de la mort d’un peuple !

    Je sais maintenant ce que c’est que la mort. Elle ne m’apprendra rien. Je suis entré dans le cercueil. J’ai compté les vers… Ah ! que cette initiation, cruelle et profonde, a été amère pour moi !