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brochure pour lui sous ce titre : Offrande à Chalier. Il y montra un vrai génie pour expliquer ce caractère mêlé de tous les contraires, ce Centaure, cette chimère, comme il l’appelle, ce monstre pétri de discordances, cruel et sensible, tendre et furieux. Dans ce beau portrait, un trait manque pour l’histoire et pour la justice : c’est la primitive inspiration d’où Chalier partit : un cœur malade de pitié, et souffrant douloureusement de l’amour des hommes.

Cet infortuné, qui fut la première victime légale de Lyon, qui étrenna la guillotine, qui eut ce privilège horrible d’être guillotiné trois fois, — qui fut suivi à la mort par une foule de disciples en pleurs, aussi enthousiastes que ceux de Jésus, qui, un an durant, de juillet en juillet, remplaça Jésus sur l’autel et fut pendant ce temps, avec Marat, la principale religion de la France, Chalier était né Italien. Son nom était plutôt savoyard. Peu importe. Il avait un pied en Italie et en Savoie, étant né au Mont-Cenis et tout près de Suze.

La grande voie des nations, la voie des neiges, sublime et misérable, où toute humanité défile sur le bâton du pèlerin, offre la plus émouvante vision sociale qui puisse troubler les cœurs. Cette prodigieuse échelle de Jacob qui s’étend de la terre au ciel, les contrastes violents de ces paysages improbables où la nature se joue de toute raison humaine, cet ensemble écrasant pour l’âme semble