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amoureux de l’assassinat. Je parle du peuple girondin et même des royalistes. Leur fureur avait besoin d’un saint et d’une légende. Charlotte était un bien autre souvenir, d’une tout autre poésie, que celui de Louis XVI, vulgaire martyr, qui n’eut d’intéressant que son malheur.

Une religion se fonde dans le sang de Charlotte Corday : la religion du poignard.

André Chénier écrit un hymne à la divinité nouvelle :

O vertu ! le poignard, seul espoir de la terre, Est ton arme sacrée !

Cet hymne, incessamment refait en tout âge et dans tout pays, reparaît au bout de l’Europe dans l’Hymne au poignard de Puschkine.

Le vieux patron des meurtres héroïques, Brutus, pâle souvenir d’une lointaine antiquité, se trouve transformé désormais dans une divinité nouvelle plus puissante et plus séduisante. Le jeune homme qui rêve un grand coup, qu’il s’appelle Alibaud ou Sand, de qui rêve-t-il maintenant ? Qui voit-il dans ses songes ? Est-ce le fantôme de Brutus ? Non, la ravissante Charlotte, telle qu’elle fut dans la splendeur sinistre du manteau rouge, dans l’auréole sanglante du soleil de juillet et dans la pourpre du soir.