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récompense elle allait cruellement compromettre… Sa tante, un jour, surprit dans ses yeux une larme : « Je pleure, dit-elle, sur la France, sur mes parents et sur vous… Tant que Marat vit, qui est sûr de vivre ? »

Elle distribua ses livres, sauf un volume de Plutarque, qu’elle emporta avec elle. Elle rencontra dans la cour l’enfant d’un ouvrier qui logeait dans la maison ; elle lui donna son carton de dessin, l’embrassa et laissa tomber une larme encore sur sa joue… Deux larmes ! assez pour la nature.


Charlotte Corday ne crut pouvoir quitter la vie sans d’abord aller saluer son père encore une fois. Elle le vit à Argentan et reçut sa bénédiction. De là elle alla à Paris, dans une voiture publique, en compagnie de quelques Montagnards, grands admirateurs de Marat, qui commencèrent tout d’abord par être amoureux d’elle et lui demander sa main. Elle faisait semblant de dormir, souriait et jouait avec un enfant.

Elle arriva à Paris le jeudi 11, vers midi, et alla descendre dans la rue des Vieux-Augustins, n° 17, à l’hôtel de la Providence. Elle se coucha à cinq heures du soir, et, fatiguée, dormit jusqu’au lendemain du sommeil de la jeunesse et d’une conscience paisible. Son sacrifice était fait, son acte accompli en pensée ; elle n’avait ni trouble ni doute.

Elle était si fixe dans son projet qu’elle ne sen-