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parmi ceux qui donnèrent leur vie pour vivre éternellement.

Les Girondins n’eurent sur elle aucune influence. La plupart, nous l’avons vu, avaient cessé d’être eux-mêmes. Elle vit deux fois Barbaroux[1], comme député de Provence, pour avoir de lui une lettre et solliciter l’affaire d’une de ses amies de famille provençale.

Elle avait vu aussi Fauchet, l’évêque du Calvados ; elle l’aimait peu, l’estimait peu, comme prêtre, et comme prêtre immoral. Il est inutile de dire que Mlle Corday n’était en rapport avec aucun prêtre et ne se confessait jamais.

À la suppression des couvents, trouvant son père remarié, elle s’était réfugiée à Caen chez une vieille tante, Mme de Breteville. Et c’est là qu’elle prit sa résolution.

La prit-elle sans hésitation ? Non ; elle fut retenue un moment par la pensée de sa tante, de cette bonne vieille dame qui la recueillait, et qu’en

  1. Les historiens romanesques ne tiennent jamais quitte leur héroïne, sans essayer de prouver qu’elle a dû être amoureuse. Celle-ci probablement, disent-ils, l’aura été de Barbaroux. D’autres, sur un mot d’une vieille servante, ont imaginé un certain Franquelin, jeune homme sensible et bien tourné, qui aurait eu l’insigne honneur d’être aimé de Mlle Corday et de lui coûter des larmes. C’est peu connaître la nature humaine. De tels actes supposent l’austère virginité du cœur. Si la prêtresse de Tauride savait enfoncer le couteau, c’est que nul amour humain n’avait amolli son cœur. — Le plus absurde de tous, c’est Wimpfen, qui la fait d’abord royaliste ! amoureuse du royaliste Belzunce ! La haine de Wimpfen pour les Girondins, qui repoussèrent ses propositions d’appeler l’Anglais, semble lui faire perdre l’esprit. Il va jusqu’à supposer que le pauvre homme Pétion, à moitié mort, qui n’avait plus qu’une idée, ses enfants, sa femme, voulait… (devinez !…) brûler Caen, pour imputer ensuite ce crime à la Montagne ! Tout le reste est de cette force.