Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du siècle envahissait les couvents. Lectures fortuites et peu choisies, Raynal pêle-mêle avec Rousseau. « Sa tête, dit un journaliste, était une furie de lectures de toutes sortes. »

Elle était de celles qui peuvent traverser impunément les livres et les opinions sans que leur pureté en soit altérée. Elle garda, dans la science du bien et du mal, un don singulier de virginité morale et comme d’enfance. Cela apparaissait surtout dans les intonations d’une voix presque enfantine, d’un timbre argentin, où l’on sentait parfaitement que la personne était entière, que rien encore n’avait fléchi. On pouvait oublier peut-être les traits de Mlle Corday, mais sa voix jamais. Une personne qui l’entendit une fois à Caen, dans une occasion sans importance, dix ans après avait encore dans l’oreille cette voix unique, et l’eût pu noter.

Cette prolongation d’enfance fut une singularité de Jeanne d’Arc, qui resta une petite fille et ne fut jamais une femme.

Ce qui plus qu’aucune chose rendait Mlle Corday très frappante, impossible à oublier, c’est que cette voix enfantine était unie à une beauté sérieuse, virile par l’expression, quoique délicate par les traits. Ce contraste avait l’effet double et de séduire et d’imposer. On regardait, on approchait, mais, dans cette fleur du temps, quelque chose intimidait qui n’était nullement du temps, mais de l’immortalité. Elle y allait et la voulait. Elle vivait déjà entre les héros, dans l’Élysée de Plutarque,