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vivait, s’occupait beaucoup de ses livres, peu de ses enfants.

On peut dire même qu’elle n’eut pas de frère. Du moins les deux qu’elle avait étaient, en 1792, si parfaitement éloignés des opinions de leur sœur, qu’ils allèrent rejoindre l’armée de Condé. Admise à treize ans au couvent de l’Abbaye-aux-Dames de Caen, où l’on recevait les filles de la pauvre noblesse, n’y fut-elle pas seule encore ? On peut le croire, quand on sait combien, dans ces asiles religieux qui sembleraient devoir être les sanctuaires de l’égalité chrétienne, les riches méprisent les pauvres. Nul lieu, plus que l’Abbaye-aux-Dames, ne semble propre à conserver les traditions de l’orgueil. Fondée par Mathilde, la femme de Guillaume-le-Conquérant, elle domine la ville, et dans l’effort de ses voûtes romanes, haussées et surexhaussées, elle porte encore écrite l’insolence féodale.

L’âme de la jeune Charlotte chercha son premier asile dans la dévotion, dans les douces amitiés du cloître. Elle aima surtout deux demoiselles nobles et pauvres, comme elle. Elle entrevit aussi le monde. Une société fort mondaine de jeunes gens de la noblesse était admise au parloir du couvent et dans les salons de l’abbesse. Leur futilité dut contribuer à fortifier le cœur viril de la jeune fille dans l’éloignement du monde et le goût de la solitude.

Ses vrais amis étaient ses livres. La philosophie