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farouche qui ne comptait pour rien le sang. Tout au contraire, ce fut pour l’épargner qu’elle se décida à frapper ce coup. Elle crut sauver tout un monde en exterminant l’exterminateur. Elle avait un cœur de femme, tendre et doux. L’acte qu’elle s’imposa fut un acte de pitié.

Dans l’unique portrait qui reste d’elle, et qu’on a fait au moment de sa mort, on sent son extrême douceur. Rien qui soit moins en rapport avec le sanglant souvenir que rappelle son nom. C’est la figure d’une jeune demoiselle normande, figure vierge, s’il en fut, l’éclat doux du pommier en fleur. Elle paraît beaucoup plus jeune que son âge de vingt-cinq ans. On croit entendre sa voix un peu enfantine, les mots même qu’elle écrivit à son père, dans l’orthographe qui représente la prononciation traînante de Normandie : « Pardonnais-moi, mon papa… »

Dans ce tragique portrait, elle paraît infiniment sensée, raisonnable, sérieuse, comme sont les femmes de son pays. Prend-elle légèrement son sort ? Point du tout, il n’y a rien là du faux héroïsme. Il faut songer qu’elle était à une demi-heure de la terrible épreuve. N’a-t-elle pas un peu de l’enfant boudeur ? Je le croirais ; en regardant bien, on surprend sur sa lèvre un léger mouvement, à peine une petite moue… Quoi ! si peu d’irritation contre la mort… contre l’ennemi barbare qui va trancher cette charmante vie, tant d’amours et de romans possibles. On est renversé de la voir si