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la bouche d’hommes finis, n’étaient que des discours, dans le cœur de Mlle Corday étaient la destinée, la vie, la mort. Sur cette prairie de Caen, qui peut recevoir cent mille hommes et qui n’en avait que trente, elle avait vu une chose que personne ne voyait : la Patrie abandonnée.

Les hommes faisant si peu, elle entra en cette pensée qu’il fallait la main d’une femme. Mlle Corday se trouvait être d’une bien grande noblesse : la très proche parente des héroïnes de Corneille, de Chimène, de Pauline, de la sœur d’Horace. Elle était l’arrière-petite-nièce de l’auteur de Cinna. Le sublime en elle était la nature.

Dans sa dernière lettre de mort, elle fait assez entendre tout ce qui fut dans son esprit ; elle dit tout d’un mot, qu’elle répète sans cesse : La Paix ! la Paix !

Sublime et raisonneuse, comme son oncle, à la normande, elle fît ce raisonnement : La Loi est la Paix même. Qui a tué la Loi au 2 juin ? Marat surtout. Le meurtrier de la Loi tué, la Paix va refleurir. La mort d’un seul sera la vie de tous.

Telle fut toute sa pensée. Pour sa vie à elle-même, qu’elle donnait, elle n’y songea point.

Pensée étroite autant que haute. Elle vit tout en un homme ; dans le fil d’une vie, elle crut couper celui de nos mauvaises destinées, nettement, simplement, comme elle coupait, fille laborieuse, celui de son fuseau.

Qu’on ne croie pas voir en Mlle Corday une virago