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Marat menait tout, faisait tout. Marat était le nom commun sous lequel on plaçait tous les crimes réels ou possibles. On arrêta un homme à Caen, suspect d’accaparer l’argent pour le compte de Marat.

Chose puérile, qu’on hésite à dire, mais qui peint la légèreté aveugle des haines, on mêlait volontiers dans les imprécations publiques (pour la rime peut-être) les noms de Marat et Garat ; les Girondins confondaient avec l’apôtre du meurtre cet homme faible et doux, qui, à ce moment même, voulait venir à eux, et traiter avec eux.

Le dimanche 7 juillet, on avait battu la générale et réuni sur l’immense tapis vert de la prairie de Caen les volontaires qui partaient pour Paris, pour la guerre de Marat. Il en vint trente. Les belles dames qui se trouvaient là avec les députés étaient surprises et mal édifiées de ce petit nombre. Une demoiselle, entre autres, paraissait profondément triste : c’était Mlle Marie-Charlotte Corday d’Armont, jeune et belle personne, républicaine, de famille noble et pauvre, qui vivait à Caen avec sa tante. Pétion, qui l’avait vue quelquefois, supposa qu’elle avait là sans doute quelque amant dont le départ l’attristait. Il l’en plaisanta lourdement, disant : « Vous auriez bien du chagrin, n’est-il pas vrai, s’ils ne partaient pas ? »

Le Girondin, blasé après tant d’événements, ne devinait pas le sentiment neuf et vierge, la flamme ardente qui possédait ce jeune cœur. Il ne savait pas que ses discours et ceux de ses amis, qui, dans