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se trouver en face d’un peuple aveugle et furieux qui abhorrait la ville du Gouvernement comme la République elle-même, qui connaissait par leur nom pour les détester ses magistrats, ses notables. Les réfugiés surtout se retrouvaient sous la main des meurtriers dont la poursuite les avait chassés de leurs maisons ; la fureur des haines locales, les vengeances particulières, allaient se lâcher, sans bride ni frein. Ce n’était pas la mort qu’on avait le plus à craindre, mais bien les supplices. Les Vendéens en avaient inventé d’étranges et vraiment effroyables. Quand les Nantais arrivèrent, en avril 1793, à Challans, ils virent cloué à une porte je ne sais quoi qui ressemblait à une grande chauve-souris : c’était un soldat républicain qui depuis plusieurs heures restait piqué là, dans une effroyable agonie, et qui ne pouvait mourir.

On a souvent discuté la triste question de savoir qui avait eu l’initiative de ces barbaries, et lequel des


    mon travail par les précieux documents que contiennent les dépôts publics, les collections particulières de Nantes. Ils m’ont été ouverts avec une libéralité dont je resterai toujours reconnaissant. La bibliothèque, les archives de la mairie, du département et des tribunaux m’ont révélé un monde que je ne soupçonnais même pas. L’historien a pu dire comme Thémistocle sorti d’Athènes : « Nous périssions, si nous n’eussions péri. » — Qu’aurais-je fait, même à Paris, si je n’avais eu connaissance de la collection de M. Dugast-Matifeux, unique pour l’histoire de la Révolution dans l’Ouest ? M. Dugast, lui-même historien (et qui nous doit cette grande histoire), n’en a pas moins ouvert le trésor de sa collection, de son érudition plus vaste encore, au nouveau venu qui esquisse l’épopée vendéenne, s’ingéniant à se voler lui-même, pour donner à un autre la fleur de tant de choses neuves, importantes, si laborieusement amassées. J’en suis heureux pour moi, mais j’en suis fier pour la nature humaine, pour la France que tant de gens dépriment aujourd’hui, pour la France patriote.