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Toute la crainte des gens de Charette, c’était qu’il ne les laissât là, qu’il ne désertât pour aller se joindre aux gens de la haute Vendée. Une fois, dans cette crainte, ils étaient près de le tuer[1]. Lui, sans se déconcerter, il fondit sur eux le sabre à la main.

En réalité, Charette n’avait ni intérêt ni désir d’entrer en rapports intimes avec la Vendée dévote. Quand celle-ci lui proposa de coopérer au siège, il venait de reprendre Machecoul, la porte de Nantes, et il eût fort aimé à prendre Nantes, mais seul, et non avec les autres.

Nantes était la Jérusalem pour laquelle les bandes de Charette avaient une vraie dévotion. Ils la jugeaient sur les profits que donnait chaque combat, sur l’argent, sur les assignats qu’ils trouvaient en retournant les poches des culottes de soie (ils appelaient ainsi les Nantais). Ce que devait renfermer une telle ville , ce que la traite et le commerce des îles y entassaient depuis deux siècles, c’est ce qu’on ne pouvait calculer. Les bravi de Charette y entraient, y rôdaient sous mille déguisements, regardant insatiablement ces sérieuses maisons, qui, sans avoir le faste de celles de Bordeaux, n’en cachaient pas moins, entassés à cinq étages, les trésors des deux mondes.

  1. Le vrai rival de Charette fut un Bordelais, Joly, homme vraiment extraordinaire, ignorant, qui savait d’instinct tous les arts : excellent tailleur, horloger, peintre, architecte, cordonnier, forgeron, chirurgien. Il était d’une bravoure et d’une férocité extraordinaires.il fit fusiller son fils qui servait les patriotes. Il méprisait les nobles (comme Stofflet) et détestait Charette, qui le fit tuer.