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savait que fuir. Personne en effet n’en eut plus souvent occasion avec les bandes qu’il menait. Il les aguerrit à force de fuir et en fuyant avec eux.

L’armée de Charette se battait pour la proie et le pillage, mais lui, pour se battre. Il leur laissait ce qu’on prenait. De même pour les guinées ; il les distribuait dès qu’il en venait. Il n’avait ni gîte ni table, mangeait chez ses officiers, couchait où et comme il pouvait.

La France a tué Charette, qui a tant répandu son sang, mais elle ne l’a point haï. Pourquoi ? Ce brigand du moins n’était point du tout hypocrite. Il n’affectait nul fanatisme, pas même celui du royalisme. Il aimait peu les émigrés, jugeait parfaitement les princes. Ils ne lui pardonnèrent jamais sa fameuse lettre au prétendant : « La lâcheté de votre frère a tout perdu. » Pour les prêtres, il n’en usait guère et détestait spécialement ceux de l’armée d’Anjou[1]. Un jour que l’abbé Bernier lui faisait demander ce qui l’empêchait de se réunir à la grande armée, Charette, qui connaissait les secrètes galanteries de l’intrigant hypocrite, répondit plaisamment : « Vos mœurs. »

  1. Comment expliquer la suppression de la Vie de Charette, par Bouvier-Desmortiers, en 1809 ? En quoi pouvait-il déplaire à la police ? Il n’y a pas un mot contre le gouvernement. Ceux à qui cette apologie de Charette déplaisait certainement, c’étaient les grands noms aristocratiques ralliés à l’Empereur et très influents près de lui. Ce livre naïf dans sa partialité même dérangeait cruellement l’épopée convenue de la Vendée. On chercha tous les moyens de l’enfouir dans la terre. — Il en a été à peu près de même pour Vauban, sur Quiberon, le rôle du comte d’Artois, etc. (Voir sur tout ceci l’article Charette et autres que M. Lejean a mis dans la Biographie bretonne, tous d’une critique pénétrante, aussi fermes qu’ingénieux et de main de maître.)