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tiers leurs filles, pour avoir de cette race singulièrement intrépide, celle qui poussait le plus loin le mépris de la vie. Nos joyeux compatriotes passaient le temps au désert à faire danser les sauvages. Nouveau trait de ressemblance avec l’armée de Charette, où l’on dansait toutes les nuits.

Cette armée tenait beaucoup d’une bande de voleurs et d’un carnaval. Ces joyeux danseurs étaient très féroces. Le combat, le bal, la messe et regorgement, tout allait ensemble.

Charette était un homme sec, d’une trentaine d’années, étonnamment leste et agile. Souvent, dans les moments pressés, il passait par la fenêtre. Il avait la poitrine étroite (on l’avait cru poitrinaire), une main brûlée dans son enfance, de petits yeux noirs perçants, la tête haute, le nez retroussé, menton saillant, bouche plate, bandée comme un arc… Ce nez au vent, cette bouche, lui donnaient l’air audacieux, l’air d’un déterminé bandit[1]. Ce qui étonnait le plus les républicains, c’était

  1. J’ai vu chez M. Suc (l’aimable et gracieux statuaire) un monument bien étrange : c’est le plâtre complet de la tête de Charette, moulé sur le mort. J’ai été frappé de stupéfaction. On sent là une race à part, fort heureusement éteinte, comme plusieurs races sauvages. À regarder par derrière la boîte osseuse, c’est une forte tête de chat. Il y a une bestialité furieuse, qui est de l’espèce féline. Le front est large, bas. Le masque est d’une laideur vigoureuse, scélérate et militaire, à troubler toutes les femmes. L’œil arrondi, enfoncé, pour d’autant mieux darder l’éclair de fureur et de paillardise. Le nez est le plus audacieux, le plus aventureux, le plus chimérique qui fut et sera jamais. Le tout effraye, surtout par une légèreté incroyable, et pourtant pleine de ruse, mais jetant la vie au vent, la sienne et celle des autres.

    Un mot fait juger Charette : son lieutenant Savin disait à sa femme : « Je crains moins pour toi l’arrivée des bleus qu’une visite de Charette. »