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frapper Nantes, prennent une apparence d’unité si terrible, combien elles étaient divisées, hostiles pour elles-mêmes.

Nous ignorions encore, en 1850, quand nous écrivîmes le tome IV de cette Histoire, une partie des moyens tout artificiels qu’on employa pour lancer ce malheureux peuple, ignorant, aveugle, contre ses propres intérêts. Nous ne connaissions non plus que très imparfaitement les mésintelligences des chefs, la rivalité intérieure des nobles et du clergé[1].

La première machine, on l’a vu, fut l’emploi d’un paysan ignorant, intelligent, héroïque, Cathelineau, que d’Elbée et le clergé opposèrent aux nobles. D’Elbée, Saxon de naissance, était haï et jalousé des autres chefs, officiers inférieurs et gentilshommes campagnards, généralement de peu de tête. Il n’eût pu, dans les commencements, commander lui-même.

  1. Je donnerai plus loin le détail des miracles grossiers de physique et de magie blanche qu’on fit pour faire prendre les armes aux infortunés Vendéens. Les prêtres et les nobles employèrent habilement des domestiques et des paysans à eux. Le fameux Souchu n’était pas juge, comme je l’ai dit, mais serviteur de la famille Charette. De ces domestiques, le plus énergique et le plus indépendant fut le garde-chasse Stofflet ; que son maître avait amené de Lorraine. Escamoteur habile, il étonnait aussi les paysans par les phénomènes de l’aimant. Ils le croyaient sorcier. C’était un homme d’humeur sombre, faible de corps, d’apparence timide, mais d’une audace indomptable. Ce tartufe, en 1792, disait toujours aux paysans : « Mes enfants, mes enfants, obéissons aux lois. » Et à la mort de Louis XVI : « Voilà que le roi a été égorgé pour Notre-Seigneur Jésus-Christ. On peut venir nous égorger chacun dans notre maison, il faut nous mettre en défense, avoir des armes, de la poudre. » — Stofflet haïssait et méprisait les nobles ; on verra qu’il leur fit à Granville l’affront le plus sanglant. (Mémoires inédits de Mercier du Rocher, administrateur du département de la Vendée.) Une copie de ce manuscrit se trouve dans la collection inestimable de MM. Dugast-Matifeux, de Montaigu, et Fillon, de Fontenay.