Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Étrange dérision du sort ! Robespierre avait au cœur l’idéal de la démocratie ; il voulait moins le pouvoir que l’autorité morale, au profit de l’égalité. Ce qu’il ambitionna réellement toute sa vie, ce fut d’être le dictateur des âmes et le roi des esprits par une triomphante formule qui résumerait la foi jacobine, et devant laquelle Girondins, Cordeliers, la France, le monde, tomberaient à genoux… Le jour arrive, et Robespierre est à même de dicter les lois, mais c’est au moment où la situation ne comporte plus les lois. Ce grand œuvre lui vient quand une nécessité suprême de situation ne permet plus de le faire dans la vérité !

Organiser le pouvoir, c’était la chose nécessaire, et de nécessité suprême. Mais comment le hasarder, quand le 10 mai, Robespierre lui-même, un mois juste avant le 10 juin, où fut présentée sa constitution, venait de prononcer un discours infiniment défiant, hostile au pouvoir, qui faisait de la vie publique une guerre contre le magistrat ?

Rien n’étonna l’audace de Saint-Just et de Couthon. Ce pouvoir qu’on ne pouvait constituer expressément, ils le firent en n’en parlant pas. Ils prirent tout simplement le médiocre projet girondin que Condorcet avait déjà présenté, découpèrent, supprimèrent les articles de garanties, de barrières au pouvoir. Celui-ci fut ainsi créé par omissions et par coups de ciseau.

1o La censure universelle de l’individu et du peuple, sur les abus de l’administration, est effacée dans la constitution jacobine ;