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Le 11 juin, la section des Piques (ou de la place Vendôme),’section de Robespierre, entraîna quelques autres sections. Elles allèrent à l’Évêché, au centre des enragés. Sans doute la salle était vacante. Elles siégèrent à leur aise et votèrent, au nom de l’Évêché, une demande d’ajourner l’armée révolutionnaire. Les Cordeliers furent furieux ; le soir même ils signalèrent cette surprise et accusèrent violemment la section de Robespierre. L’armée n’en resta pas moins ajournée.

Déjà depuis quelque temps, avant même la chute de la Gironde, l’instinct prévoyant des riches, éclairé par la terreur, leur disait que Robespierre, Marat même, se trouveraient, par leur opposition naturelle aux enragés, les modérateurs de la situation et les défenseurs de l’ordre. Sans se piquer de fidélité à la Gironde, qui manifestement enfonçait, sans scrupule d’opinion, ils s’adressaient à la Montagne, au plus haut de la Montagne, tout droit à Marat ; Marat, cruel en paroles, était vaniteux, sensible aux caresses, à la confiance.

Il raconte lui-même un fait significatif :

Quelque temps avant le 31 mai, un banquier estimé, M. Perregaux (prédécesseur de M. Laffitte), l’invita à dîner chez lui. Marat ne refusa pas. Mais, avec beaucoup de prudence, il voulut avoir un témoin de ses paroles, et il emmena Saint-Just. Il y avait à table deux ou trois banquiers ou négociants. Au dessert, timidement, ils se hasardèrent à demander au grand patriote ce qu’il pensait qu’on