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à Paris, quand nos soldats du Rhin, du Nord, en présence de l’ennemi, exténués, à peine nourris, depuis si longtemps ne recevaient rien ?

Si l’on créait cette armée, on la donnait aux enragés, un poignard dans la main d’un fou ! et si on ne la créait pas, on risquait une insurrection, mais celle-ci très sérieuse, celle de la misère et de la faim.

On vit alors un spectacle curieux, Chaumette et le Père Duchesne, effrayés et dépassés, prêcher la modération. Ils avaient arrêté Gusman ; ils tâchaient de faire taire Leclerc : « Qui veut le sang, disait Hébert, n’est pas un bon citoyen. »

On composa. Le comité d’insurrection exigea qu’au moins l’armée fût votée pour six mille hommes. Il en fut ainsi, et le comité, à ce prix, se déclara dissous (6 juin).

Mais une circonstance imprévue permit d’éluder ce vote. Les canonniers de Paris, corps d’élite, de grand courage (on le vit à Nantes et partout), mais de grandes prétentions, formaient déjà une espèce d’armée révolutionnaire. Ils s’opposèrent hardiment à ce qu’il en fût créé une, dont ils n’eussent été qu’un corps accessoire. Ils jurèrent de ne pas se dissoudre, de rester serrés ensemble et de s’aider les uns les autres.

Cela rendit du courage à tous ceux qui craignaient l’armée révolutionnaire, aux ennemis des enragés, à Robespierre, aux Jacobins, à la Commune, à Chaumette.