Mais, justement, cette fatalité indignait la grande majorité de la Montagne.
De tempérament, d’instinct, de nature, elle était contraire à Robespierre, bien plus qu’à Danton, à Marat. Le tempérament dantonique, le génie de Diderot dans son dithyrambe de l’Orgie de la Liberté fut plus commun dans la Montagne. Elle haïssait tout pédagogue. Autant elle était ravie d’être quitte de la volubilité magistrale et pédantesque du grand faiseur Brissot, autant elle frémissait de tomber sous la férule de l’irréprochable Robespierre. Elle détestait la Gironde, en qui elle voyait la dissolution de la République, mais n’avait pas moins horreur de voir la Révolution, immense et féconde, débordante et regorgeante de sentiments, d’idées, de vie, se resserrer tout à coup, se châtier et faire pénitence, prendre cette sagesse moyenne qui supprime les jets vivants les plus vigoureux au profit de la discipline et de l’unité d’organisation[1].
Les Jacobins contenaient-ils la Révolution ? Non. Ils n’étaient pas même la Montagne tout entière.
- ↑ La presse, déjà captive, couvre avec soin tout cela. Le Moniteur spécialement, très habilement mutilé, efface tout élan indiscret de la passion et de la nature. L’indocilité, l’indisciplinabilité de la Montagne, tant savamment cachée qu’elle ait été et par les journaux et par les procès-verbaux, corrigés, tronqués, falsifiés, n’en éclatera pas moins, et dans les fureurs concentrées de juin on pressent déjà Thermidor. — Bourdon (de l’Oise), ennemi des Girondins et non moins de Robespierre, est accusé par les Cordeliers d’un fait singulier. Sa haine pour Robespierre l’emporta si fort au 31 mai qu’il oublia un moment qu’il voulait la mort de la Gironde, traversa la salle et s’approcha pour serrer la main de Vergniaud. — Procès-verbaux du club des Cordeliers, minutes sur feuilles détachées, placées au second registre, 3 vendémiaire (21 septembre). (Archives de la Préfecture de police.)