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à quels signes le reconnaître ? On avait abusé de tous. Et plus la Terreur venait, plus soigneusement on se masquait sous les signes patriotiques. La cocarde fut un masque dès 1789. L’habit simple, les couleurs sombres, les cheveux noirs et plats, tout cela fut pris, en 1791, par les plus aristocrates. Les discours, qui n’en faisait ? La philanthropie, qui n’en abusait ? On ne peut trop accuser la défiance de Robespierre, quand on voit les déplorables alliés qui lui venaient tous les jours depuis le 2 septembre. Les exaltés lui étaient très spécialement suspects ; il les croyait traîtres, payés par Pitt ou par Coblentz, pour déshonorer la Révolution.

Toutes ces pénibles pensées qui le travaillaient apparurent de plus en plus dans son extérieur et en firent un objet étrange. Gauche, mal à l’aise, souffrant, dès 1789, sous les risées de la Constituante, il avait raidi de haine et s’était comme dressé sous l’applaudissement du peuple. Sa démarche automatique était d’un homme de pierre. Ses yeux, inquiets de plus en plus, roulant une lueur d’acier pâle[1], exprimaient l’effort d’un myope qui veut voir, qui voudrait voir au cœur même, et l’abstraction impitoyable d’un homme qui ne veut plus être homme, mais un principe vivant. Vain effort ! Il

  1. Bleuâtre ou verdâtre. Un jeune homme (aujourd’hui représentant) demandant un jour au vieux Merlin (de Thionville) comment il avait pu condamner Robespierre, le vieillard parut en avoir quelque regret. Puis, se levant tout à coup avec un mouvement violent : « Robespierre ! dit-il, Robespierre !… ah ! si vous aviez vu ses yeux verts, vous l’auriez condamné comme moi. »