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les Chaînes de l’esclavage. Rien ne manqua à la comédie. On suivit toutes les formes. Le jury se retira, délibéra, puis, rentré, prononça l’acquittement.

À ce moment, il fut près d’être étouffé. Toute la foule voulait l’embrasser. Les soldats se mirent devant et le protégèrent. On lui jeta sur la tête je ne sais combien de couronnes. Il était petit, on le voyait peu. Plusieurs s’élancèrent, le prirent sur leurs bras, le juchèrent sur un fauteuil, le montrèrent un moment du haut du grand escalier. C’était un objet étrange. Son costume, à la fois recherché et sale, était moins d’un homme de lettres que d’un charlatan de place, d’un vendeur d’orviétan, comme il l’avait été en effet. C’était une lévite jadis verte, somptueusement relevée d’un collet d’hermine jaunie, qui sentait son vieux docteur. Heureux choix de couleurs qui s’assortissait à merveille au ton cuivré de la peau et pouvait faire prendre de loin le docteur pour un lézard.

« Il est sauvé ! Vive Marat ! » Toute la foule déguenillée l’emportait avec violence, heureuse de sa victoire. C’était une fête d’avril ; échappés au long hiver, ces pauvres gens croyaient leurs maux finis par le triomphe du grand empirique qui jurait de tout guérir. Quand il eut passé le Pont-Neuf, par la rue de la Monnaie, par la rue Saint-Honoré, ce fut comme une pluie de fleurs, de couronnes et de rubans. Les femmes des Halles surtout, dans l’effusion de leur cœur, noyaient de bouquets l’homme