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négociations souterraines, aux bonnes paroles, dont, selon toute apparence, l’avait amusé l’ennemi.

Cette retraite précipitée était bien cruelle. Elle découvrait un peuple qui s’était terriblement compromis pour nous. La vaillante population liégeoise, qui, depuis deux mois, demandait des armes, cette héroïque cité dont Dumouriez n’avait rien fait, elle était abandonnée, nos meilleurs amis livrés à la vengeance de l’Autriche. Les patriotes liégeois étaient obligés de fuir. Mais comment ? Rien n’était prévu. Point d’argent ni de voitures ; des femmes, des enfants en larmes qu’on ne pouvait laisser, qu’on ne pouvait emmener. Le temps était épouvantable, beaucoup plus froid qu’en hiver ; la neige tombait à flots. La nuit vient (nuit du 4 mars), on apprend que la ligne de la Meuse est forcée, que l’armée française évacue toujours et recule vers Saint-Trond. Dès lors, pas un moment à perdre. En pleine nuit, sur la neige, hommes, femmes et enfants, dans une procession funèbre, prennent la route de Bruxelles, la route de l’armée française, misérable colonie, sans ressources pour l’avenir, que l’aumône de la France.

Toute cette histoire de Liège est bien dure à raconter pour un Français. Moi qui l’ai reprise et suivie depuis le quinzième siècle, qui, dès Louis XI, ai dit tout ce que ce peuple a fait et souffert pour la France, je sens comme un pesant remords. Oui, je me sens, comme Français et représentant de mes pères, douloureusement responsable et tristement