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Il n’y avait pas un meilleur homme, plus honnête, plus généreux. Sans espoir d’une vie à venir (que sa vertu méritait), sans l’appui des consolations qu’on trouve dans la pensée divine, il suivit, simple, droit, ferme, l’idée du bien, du devoir. Jamais la magistrature n’eut de plus dignes paroles que les Remontrances de Malesherbes, président de la Cour des Aides. Il fut ministre avec Turgot, tomba avec lui. Il était peu propre au pouvoir, étant né gauche et maladroit, sans ménagements ni tempéraments, sans connaissance des hommes.

Une chose, parmi tant de services rendus au pays, rendait cet homme sacré, c’est que, sans lui, ni l’Émile, ni l’Encyclopédie, ni la plupart des grands ouvrages du dix-huitième siècle, n’auraient pu paraître. Il était alors directeur de la librairie ; il couvrit de sa protection les libertés de la pensée, enseigna lui-même aux écrivains à éluder l’absurde tyrannie du temps. Il revit lui-même, ne censura pas, corrigea avec respect les épreuves de Rousseau.

L’âge n’avait rien changé dans M. de Malesherbes. Il avait, en 1792, à soixante-douze ans, l’esprit ferme, le chœur chaleureux de son âge viril. C’était un contraste piquant de trouver dans ce petit homme, un peu rond, un peu vulgaire (vraie figure d’apothicaire sous une petite perruque), un héros des temps anciens. Il avait dans la parole la sève, parfois la verve facétieuse, un peu caustique, de la vieille magistrature, et avec cela des traits admirables