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sauvage sa face hérissée. Au retour surtout, le jeûne, l’affaiblissement, la fatigue, en faisaient un objet pitoyable à voir. Cet homme, qui semblait fort, mais très lourd, très mol, ne pouvait rien supporter ; on l’a vu, la nuit du 10 août, cette nuit suprême de la monarchie, il ne put veiller, se coucha. Au 11 décembre, le grand air, nouveau pour le prisonnier, l’effarouchait en quelque sorte, ajoutait à l’éblouissement naturel du myope en pleine lumière. Il promenait sur la foule un regard qui ne regardait rien ; seulement, à chaque rue que l’on dépassait sur la ligne des boulevards, la faculté proverbiale des Bourbons, la mémoire automatique lui en faisait dire le nom : « Voici telle rue » ; — puis : « Telle rue » ; comme un enfant à moitié endormi, qui répète une vieille leçon, ou une montre qui machinalement, indifféremment sonne l’heure. Une chose parut l’éveiller ; il nommait la rue d’Orléans : « Dites la rue de l’Égalité, lui dit-on. — Ah ! oui, dit-il, à cause de… » Dès lors, il se tut et ne dit plus rien.

L’effet sur toute la route ne fut pas celui qu’on eût cru ; il y eut un grand silence, peu de cris de mort. Il y avait beaucoup de monde ; tous individus isolés, point de groupes, on n’en souffrait pas. Ils regardaient, observaient, contenant leur pensée, quelle qu’elle fût.

Un mouvement de pitié cependant s’était fait dans les cœurs. Ceux qui craignirent le moins de le manifester, ce furent ceux qui avaient constamment