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Cette nourriture, convenable pour un homme qui eût passé les jours à la chasse, dans les bois de Rambouillet ou de Versailles, était beaucoup trop forte pour un prisonnier. Toute la promenade était, non pas une cour, non pas un jardin, mais un malheureux terrain sec et nu, avec deux ou trois compartiments de gazon flétri, quelques arbres rabougris, effeuillés au vent d’automne. Là, tous les jours, à deux heures, la famille royale venait prendre un peu d’air et faisait jouer l’enfant. Elle y était l’objet de la curiosité peu respectueuse des gardes nationaux, qui se renouvelaient chaque jour. Des paroles grossières, outrageantes, échappaient parfois, parfois des mots licencieux qu’on eût dû épargner aux oreilles des princesses. L’attitude de la reine, il faut le dire (je parle ici d’après le témoignage de mon père, qui monta la garde au Temple), était souverainement irritante et provocante. La jeune dauphine, malgré le charme de son âge, intéressait peu ; plus Autrichienne encore que sa mère, elle était toute princesse et Marie-Thérèse ; elle armait ses regards de fierté et de mépris.

Le roi, avec l’air myope, le regard vague, la démarche lourde, le balancement ordinaire aux Bourbons, faisait à mon père l’effet d’un gros fermier de la Beauce.

L’enfant était joli et intéressant ; il avait toutefois (on peut en juger par ses portraits) l’œil d’un bleu cru, assez dur, comme l’ont généralement les princes de la maison d’Autriche. Très affiné par sa