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deux, guillotiné du cœur. Il avait toujours aimé cette femme excellente, mais sa légèreté, sa fougue, l’avaient parfois mené ailleurs. Et voilà qu’elle partait, voilà qu’il s’apercevait de la force et profondeur de sa passion pour elle. Et il n’y pouvait rien, elle fondait, fuyait, s’échappait de lui, à mesure que ses bras contractés serraient davantage.

Le plus dur, c’est qu’il ne lui était pas même donné de la voir jusqu’au bout et de recevoir son adieu. Il ne pouvait rester ici ; il lui fallait quitter ce lit de mort. Sa situation contradictoire allait éclater ; il lui était impossible de mettre d’accord Danton et Danton. La France, le monde, allaient avoir les yeux sur lui, dans ce fatal procès. Il ne pouvait pas parler, il ne pouvait pas se taire. S’il ne trouvait quelque ménagement qui ralliât le côté droit, et, par lui, le centre, la masse de la Convention, il lui fallait s’éloigner, fuir Paris, se faire envoyer en Belgique, sauf à revenir, quand le cours des choses et la destinée auraient délié ou tranché le nœud. Mais alors cette femme malade, si malade, vivrait-elle encore ? Trouverait-elle en son amour assez de souffle et de force pour vivre jusque-là, malgré la nature, et garder le dernier soupir pour son mari de retour ?… On pouvait prévoir ce qui arriva, qu’il serait trop tard, qu’il ne reviendrait que pour trouver la maison vide, les enfants sans mère, et ce corps, si violemment aimé, au fond du cercueil. Danton ne croyait guère à l’âme, et c’est le corps qu’il poursuivit et voulut revoir, qu’il arracha de la terre, effroyable et défiguré, au