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échapper et les aidèrent à se déguiser pour échapper aux bandes de poissardes qui criaient derrière elles qu’on aurait dû les tuer.

Un des assaillants, M. Singier (depuis connu et estimé comme directeur de théâtre), a conté qu’entrant dans la chambre de la reine, il vit la foule qui brisait les meubles et les jetait par les fenêtres ; un magnifique clavecin, orné de peintures précieuses, allait avoir le même sort. Singier ne perd pas de temps ; il se met à en jouer, en chantant la Marseillaise. Voilà tous ces hommes furieux, sanglants, qui oublient leur fureur au moment même ; ils font chorus, se rangent autour du clavecin, se mettent à danser en rond et répètent l’hymne national.

Non, cette foule, si mêlée, des vainqueurs du 10 août, n’était pas, comme on l’a tant dit, une bande de brigands, de barbares. C’était le peuple tout entier ; toute condition, toute nature et tout caractère se rencontraient là, sans nul doute. Les passions les plus furieuses s’y trouvèrent ; mais les basses, les ignobles, rien n’indique qu’en ce moment d’exaltation héroïque elles se soient montrées chez personne. Il y eut beaucoup d’actes magnanimes. Et le mot touchant du boulanger que nous avons rapporté au commencement de ce chapitre montre assez que le péril, qui rend si souvent féroces les hommes qui l’affrontent pour la première fois, n’avait nullement éteint dans le cœur des assaillants les sentiments d’humanité.