Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/456

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se tenaient de côté, dans l’espoir que, le chaos s’embrouillant de plus en plus, ils pourraient avancer pour mordre.

Un homme seul, Cambon, eut courage dans cette situation. Président du comité des finances et son invariable directeur, il s’y établit, s’empara du chaos, en débrouilla les éléments dans la lutte la plus obstinée et en tira l’ordre nouveau. Intrépide maçon, prenant de toutes parts des ruines et des débris, il en a bâti le Grand-Livre.

Si l’on est curieux de connaître quelle fut la forte et rude tête où se passa toute la révolution des chiffres, où le Doit et Avoir se livrèrent tant de guerres, il faut voir le portrait de David.

Le redoutable personnage, en qui fut l’âme de Colbert sous les formes de la Terreur, ne paraît nullement, comme Colbert dans ses portraits, sombre, affaissé et triste. Tout à l’envers du ministre de Louis XIV, qui disait en mourant : « On ne peut plus aller », le visage de Cambon semble porter écrit un vigoureux entrain, un invincible Ça ira !

Trente et quelques années, fortement coloré, amer, pur et sauvage, tel est l’homme. L’air avisé, mais franc, est d’un rude marchand de province, de forte race de paysan. La tradition sévère du Languedoc, dont les États enseignèrent à la France la comptabilité, semble visible ici. On sent parfaitement que les fournisseurs de la République devaient être mal à l’aise sous un pareil regard, et sentir devant un tel homme que leur tête tenait faiblement.