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que nous sommes divisés, gardez-vous de le croire. Si nos opinions diffèrent, nos sentiments sont les mêmes ; en variant sur les moyens, nous tendons tous au même but. Nos délibérations sont bruyantes ; eh ! comment ne pas s’animer sur de si grands intérêts ? C’est la passion du bien qui nous agite à ce point ; mais, une fois le décret rendu, le bruit finit et la loi reste. »

Noble parole en elle-même et sublime dans la situation. Isnard l’écrivit au moment où son parti allait périr, et c’est comme une voix de la tombe. Ici ce sont ceux qui meurent qui justifient ceux qui vivent, la Convention tout entière, sans distinction de partis, sans excepter ceux même qui les envoient à la mort. Par une noble pudeur civique, ils défendent à l’armée d’apercevoir les discordes qui vont leur coûter la vie, et disent en tombant, victimes des divisions : On vous dit que nous sommes divisés, gardez-vous de le croire !

Et cette parole sublime, héroïquement désintéressée, fut en même temps juste et profonde. Ces discordes, toutes violentes et sanglantes qu’elles aient pu être, ne touchaient en rien au salut public. Elles portaient sur des questions d’avenir, vraiment prématurées alors. Celle de la bourgeoisie et du prolétariat ne devait guère inquiéter une Assemblée qui avait dix milliards de propriétés à distribuer au peuple. Les disputes de la Convention portaient encore sur des thèses de haute philosophie politique, sur des nuances délicates de l’orthodoxie révolu-