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mit à rire. Elle leur lança des brocards, mais les Suisses ne riaient pas. On aurait pu douter qu’ils fussent vraiment en vie. Le gamin s’enhardit vite, et tout le peuple parisien est gamin sous ce rapport. Ceux-ci, avec douze mauvais fusils, des piques et des broches, n’étaient point pour engager le combat avec cette troupe de Suisses armés jusqu’aux dents. Ils savaient que plusieurs Suisses avaient essayé de passer du côté de la garde nationale ; ils résolurent d’aider à leur bonne volonté. Quelques-uns qui avaient des crocs au bout d’un bâton s’avisèrent de jeter aux soldats cette espèce de hameçon, d’en accrocher un, puis deux, par leurs uniformes ; ils les tiraient à eux avec de grands éclats de rire. La pêche aux Suisses réussit. Cinq se laissèrent prendre ainsi sans faire résistance[1]. Les officiers commencèrent à craindre une sorte de connivence entre les attaqués et les attaquants, et ils ordonnèrent le feu.

On vit alors toute la force de la discipline. Ils tirèrent sans hésiter. L’effet de ces feux, étagés du haut en bas de l’escalier et qui plongeaient tous ensemble et presque à bout portant sur une même masse vivante, fut épouvantable. Il n’y eut jamais dans un lieu si étroit un si terrible carnage. Tout coup fut mortel. La masse chancela tout entière et s’affaissa sur elle-même. Nul de ceux qui entrèrent sous le vestibule n’en sortit. Les seuls récits que nous ayons

  1. À qui persuadera-t-on que les assaillants, si intéressés à encourager la défection, aient sur-le-champ massacré, comme le prétend Peltier, les Suisses qui s’étaient laissé prendre ?