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extraordinaire, ce qu’on n’eût guère supposé d’après les lenteurs de la nuit. La masse, grossie dans la rue Saint-Antoine par chaque rue latérale qui avait fourni des affluents à ce fleuve, passa sans difficulté la fatale arcade Saint-Jean, où Mandat s’était flatté de l’anéantir. Elle resta une heure à la Grève, sans pouvoir obtenir d’ordres ; les uns disaient que la Commune espérait encore quelque concession de la cour, les autres que le faubourg Saint-Marceau traînait, qu’on craignait qu’il ne pût faire à temps sa jonction au Pont-Neuf.

À huit heures et demie, un millier d’hommes à piques perdirent patience et prirent leur parti. Ils percèrent les rangs de la garde nationale, disant qu’ils se passeraient d’elle. Ils étaient fort mal armés ; ils n’avaient pas entre eux tous une douzaine de fusils ; beaucoup n’avaient pas même de piques, mais des broches, ou tout simplement des outils de leur état. Quelques fédérés, Marseillais ou autres, qui étaient des soldats aguerris, ne purent voir ces gens s’en aller seuls, avec si peu de chances ; ils essayèrent de les diriger et hasardèrent d’aller à leur tête essuyer le premier feu.

La famille royale venait de quitter les Tuileries. Le procureur-syndic, Rœderer, avait lui-même joint sa voix à celle des zélés serviteurs qui voulaient à tout prix mettre le roi hors de péril. Des deux côtés on parlementait. Un jeune homme, pâle et mince, introduit comme député des assaillants, avait tiré de Rœderer l’autorisation d’introduire vingt députés dans