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vement, forme aussi trois colonnes en face et fait dire sur toute la ligne : « Ne pas tirer, mais attendre et les recevoir à la baïonnette. »

Il y eut un moment de silence. La fumée se dissipait. Les Prussiens avaient descendu, ils franchissaient l’espace intermédiaire avec la gravité d’une vieille armée de Frédéric, et ils allaient monter aux Français. Brunswick dirigea sa lorgnette, et il vit un spectacle surprenant, extraordinaire. À l’exemple de Kellermann, tous les Français, ayant leurs chapeaux à la pointe des sabres, des épées, des baïonnettes, avaient poussé un grand cri… Ce cri de trente mille hommes remplissait toute la vallée : c’était comme un cri de joie, mais étonnamment prolongé ; il ne dura guère moins d’un quart d’heure ; fini, il recommençait toujours avec plus de force ; la terre en tremblait… C’était : « Vive la nation ! »

Les Prussiens montaient, fermes et sombres. Mais, tout ferme que fût chaque homme, les lignes flottaient, elles formaient par moments des vides, puis elles les remplissaient. C’est que de gauche elles recevaient une pluie de fer, qui leur venait de Dumouriez.

Brunswick arrêta ce massacre inutile et fit sonner le rappel.

Le spirituel et savant général avait très bien reconnu, dans l’armée qu’il avait en face, un phénomène qui ne s’était guère vu depuis les guerres de religion : une armée de fanatiques, et, s’il l’eût fallu, de martyrs. Il répéta au roi ce qu’il avait toujours