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pu retourner qu’en faisant passer son armée sur un seul pont avec le plus grand péril. Il ne pouvait se replier sur la droite de Dumouriez qu’en traversant un marais où il se fût enfoncé ; encore moins sur la gauche de Dumouriez, dont il était séparé par d’autres marais et par une vallée profonde. Donc, nulle retraite facile ; mais, pour le combat, la position était d’autant plus belle et hardie. Les Prussiens ne pouvaient arriver à Kellermann qu’en recevant dans le flanc tous les feux de Dumouriez. Un beau lieu pour vaincre ou mourir. Cette armée enthousiaste, mais peu aguerrie encore, avait peut-être besoin qu’on lui fermât la retraite. Pour les Prussiens, d’autre part, c’était un grand enseignement et matière à réfléchir : ils durent comprendre que ceux qui s’étaient logés ainsi ne voulaient point reculer.

Nous supprimons d’un récit sérieux les circonstances épiques dont la plupart des narrateurs ont cru devoir orner ce grand fait national, assez beau pour se passer d’ornements. À plus forte raison, écarterons-nous les fictions maladroites par lesquelles on a voulu confisquer au profit de tel ou tel individu ce qui fut la gloire de tous.

Réservons seulement la part réelle qui revient à Dumouriez. Quoique Kellermann se fût placé lui-même autrement qu’il n’avait dit, quoiqu’il eût, contre son avis, pris pour camp ce poste avancé, Dumouriez mit un zèle extrême à le soutenir, de droite et de gauche. Toute petite passion, toute rivalité disparaissait dans une si grande circonstance.