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sent au crime ; chassez-les vous mêmes. À la première mutinerie, je vous ferai tailler en pièces Je ne souffre ici ni assassins ni bourreaux… Si vous devenez comme ceux parmi lesquels vous avez l’honneur d’être admis, vous trouverez en moi un père. »

Ils ne soufflèrent mot et devinrent de très bons soldats. Ils prirent l’esprit général de l’armée. Cette armée était magnanime, vraiment héroïque de courage et d’humanité. On put l’observer, plus tard, dans la retraite des Prussiens. Quand les Français les virent affamés, malades, livides, se traînant à peine, ils les regardaient en pitié et ils les laissaient passer. Tous ceux qui venaient se rendre voyaient le camp français converti en hôpital allemand et trouvaient dans leurs ennemis des gardes-malades[1].

L’armée française, d’abord très faible, était, en récompense, bien autrement leste et mobile que celle des Prussiens. Il s’agissait d’en réunir les corps dispersés, c’est ce que Dumouriez accomplit avec un coup d’œil, une audace, une vivacité admirables, saisissant tous les défilés de la forêt de l’Argonne, en présence de l’ennemi. L’Autrichien, ayant passé la Meuse, touchait déjà la forêt ; il était parfaitement

  1. Ce n’est pas la première fois que les Français ont soigné, nourri leurs ennemis. Cela se vit à la prise de La Rochelle (1627), et bien anciennement dans les guerres espagnoles du quatorzième siècle. Un Anglais leur rend ce témoignage : « Lorsque le duc de Lancastre envahit la Castille et que ses soldats mouraient de faim, ils demandèrent un sauf-conduit et passèrent dans le camp des Castillans, où il y avait beaucoup de Français auxiliaires. Ceux-ci furent touchés de la misère des Anglais, ils les traitèrent avec humanité et ils les nourrirent de leurs propres vivres : de suis victualibus refecerunt. » (Walsingham, p. 342.)