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elle disait cette litanie, sans varier, du matin au soir : « Dieu sauve Manuel et Pétion ! Dieu sauve Manuel et Pétion ! » Les deux magistrats populaires, qui, malgré leur impuissance, avaient du moins, dans le massacre, montré de l’humanité, étaient devenus les deux saints de la vieille ; elle honorait leurs images et priait pour eux. Dans le naufrage des anciennes idées religieuses, et lorsque la foi nouvelle se trouvait si cruellement compromise en son berceau, l’humanité restait encore, et l’horreur du sang humain, pour religion unique du pauvre cœur abandonné. Faible, vieille, indigente, dans sa solitude pleine d’effroi, elle tâchait de se rassurer, de se reprendre à l’espoir, en nommant deux amis de l’humanité. Fil fragile, misérable appui ! Des deux patrons de la vieille, l’un, au bout d’un an, devait périr sur l’échafaud ; l’autre, un peu plus tard, devait se retrouver mort de faim et de misère, et dévoré par les chiens.

Un signe infiniment grave, déplorable, de l’état singulier où se trouvaient les esprits, c’est que, dans cette ville immense, où la misère était excessive depuis longtemps, personne ne voulait travailler. La Commune, à aucun prix, ne trouvait des ouvriers pour les travaux de terrassement du camp qu’on faisait à Montmartre. Elle offrait deux francs par jour (qui en valaient trois d’aujourd’hui), et il ne venait personne. Elle alla jusqu’à mettre en réquisition les ouvriers en bâtiment, en leur offrant la journée très élevée qu’ils gagnent dans leur industrie ;